Eladriel Fractalys
mardi 17 janvier 2023
samedi 5 décembre 2020
De l'art de bouturer un rosier
Le meilleur moment
pour bouturer un rosier commence au milieu de l’été et se termine fin novembre.
Choisissez une belle tige de votre
rosier, droite et vigoureuse, ayant poussé durant l’année, et qui n’a pas été
mâchouillée par vos chiens.
Elle doit comporter au moins 3 yeux et
1 bourgeon naissant.
Coupez la tige avec un sécateur bien
affûté et préalablement désinfecté, en prenant soin de ne pas couper en même temps la patte
du chat qui veut voir de plus près ce que vous manigancez.
Retirez les épines de la partie qui
sera en terre. Retirez également la griffe que le chat a plantée dans votre
main lorsque vous avez voulu mettre votre tige de rose hors de sa portée.
Supprimez les feuilles, ne laissez que
les deux du haut.
Ramassez et rangez le sécateur que le
chat a fait tomber de la table.
A votre retour, ramassez les feuilles
que le chat a étalées un peu partout, et allez chercher dans le jardin la tige
de rosier que les chiens ont emmenée avec eux pour vérifier votre travail.
Mettez la dans votre compost et recommencez les étapes décrites plus haut avec une autre
tige.
Piochez le carré où
vous souhaitez planter votre bouture, pour que la terre soit bien meuble.
Allez chercher un
arrosoir rempli d’eau.
Virez les chiens du
carré fraîchement pioché, récupérez la terre étalée tout autour et piochez de
nouveau.
Faites un trou
suffisamment grand pour pouvoir le remplir de terreau ou de compost.
Allez chercher la bouture sur la table.
Virez le chat accroupi juste au-dessus du trou.
Prélevez délicatement l'urine de chat à l’aide d’un transplantoir, et
refaites le trou.
Plantez rapidement, arrosez et montez la garde jusqu'à l'hiver.
L'ivre de lire, lire délivre, lire c'est vivre.
14 heures, pluie battante sur la ville. Les courtes journées de décembre se suivent et se ressemblent.
De loin, les chaudes lumières de la bibliothèque m’appellent déjà, je presse le pas, tant j’ai hâte d’arriver.
Dès le seuil de la porte, je laisse derrière moi les bruits de la rue, la
grisaille, les préoccupations du quotidien, toute à la délectation du moment
qui m’attend ; j’ai rendez-vous avec les livres.
Je prends mon temps… Que vais-je faire aujourd’hui, chercher
la perle rare en choisissant un thème, un auteur, ou me laisser guider par mon
intuition et un heureux hasard, dans la délectation d’une longue promenade
entre les rayons, me laissant séduire par une couverture, un mot, une image…
Du haut des étagères, les Dewey m’interpellent, cherchant à
attirer mon attention, j’ai l’impression qu’ils se tournent légèrement pour
capter la lumière et ainsi attirer mon regard.
"Les contes t’attendent, viens
puiser ton inspiration pour raconter à la veillée !"
"Viens, laisse donc
toutes ces historiettes, moi je te raconte l’Histoire, la vraie, la grande !"
"Allons ne les écoute pas,
rien ne vaut un bon roman !"
Je les contemple, tous, du haut de la galerie, l’eau à la
bouche comme une gourmande devant la vitrine de la meilleure des pâtisseries.
Et soudain, c’est comme un frémissement sur les étagères,
ils m’ont repérée, et je les entends qui chuchotent entre eux, puis
s’enflamment.
- Moi, elle m’a déjà emprunté trois fois, si ça se trouve je
vais encore aller avec elle aujourd’hui !
- Pourquoi toujours toi, qu’as-tu donc de si particulier ? Ne te fais donc
pas remarquer, laisse nous notre chance à nous aussi.
- Jaloux !
- Prétentieux !
- Un peu de tenue, voyons, tous nous aurons notre grand jour où nous partirons
d’ici, précieusement serrés dans son sac… Je me souviens d’une nuit blanche
partagée sous ses draps, c’était…
- Oh moi, l’interrompt un petit opuscule, je l’ai accompagnée dans sa
baignoire, mes pages en rosissaient !
- Dévergondé !
- Hypocrite !
- Pornographe !
- Tartuffe !
Un exemplaire des Dialogues de bêtes les regarde, quelque
peu dédaigneux, inspiré sans doute par Kiki-la-Doucette fustigeant les futiles et
infantiles agitations de Toby-Chien. Il se tait. Il connaît bien l’amour qu’il
m’inspire, et puis il sait, lui, que son frère jumeau est chez moi, à une place d'honneur sur son étagère.
Un des romans policiers les interpelle.
- Vous n’êtes qu’une bande de snobs et de pédants ! Nous aussi elle nous
aime !
- Oh vous, la littérature de gare, n’oubliez pas que bien des gens vous jettent
après usage. Ça n’est pas la peine de nous narguer.
- Elle ne ferait jamais une chose pareille ! Elle nous donne, ou elle
garde ceux d’entre nous qui avons su lui plaire.
- L’éclectisme de ses goûts me laissera toujours pantois !
- Léclé.. quoi ??
Une édition moderne des Simples contes des collines
s’enorgueillit :
- L’un de mes arrières-arrières-grand-pères est chez elle depuis
toujours ! Parfaitement, malgré tous ses déménagements, il est toujours
aussi beau dans sa reliure, pas une ride ! Et il m’a confié qu’elle prend
toujours autant de plaisir à partager un moment avec lui.
Dans sa belle couverture blanche, The help pousse un soupir.
- Comme c’était bon, ce printemps, quand elle m’a lu allongée dans l’herbe au
soleil… J’ai bien eu un peu peur, à un moment, de me faire piétiner par ses
chiens et ses chats, mais non, il y avait de la place pour nous tous sur la
couverture. C’était délectable, je sens encore la caresse du soleil sur mes
pages, et je la revois sourire et s’émouvoir…
- Tu es bien nostalgique, toi, lui répond Le vieux qui ne
voulait pas souhaiter son anniversaire. Moi elle m’a lu dans un train, entre
deux lignes du programme qu’elle écrivait, et je n’étais pas bien à l’aise,
avec tout ce bruit et ces cahots.
- C’est vrai qu’elle utilise ces maudites machines ! Et si un
jour elle nous abandonnait, si elle tombait sous le charme de ces… ces…
e-books ! dit un petit livre broché dont la couverture donne des signes
d’usure.
- Ne t’inquiète pas, lui répond son voisin d’étagère, elle
aime trop la sensation de notre peau de papier sous ses doigts, elle aime trop
nous soupeser, nous regarder sous toutes nos coutures, avant de nous ouvrir
enfin pour découvrir notre contenu. Et elle aime trop ce geste de nous reposer
précautionneusement sur sa table de nuit lorsque le sommeil la gagne. Elle ne nous quittera pas ! Je l’ai même
entendue dire à une amie qu’elle avait peur qu’un jour le grand âge ne la prive
de nous, parce que ne plus pouvoir lire ça serait comme perdre une partie de sa
vie.
Une bibliothécaire se retourne, le sourcil froncé, balayant
du regard les rayons derrière elle. Aurait-elle perçu leurs petites voix ?
Tous se sont tus, bien en ordre, sagement rangés en longues files multicolores.
-Oh elle
est partie !
- Lequel d’entre nous a-t-elle choisi ?
- « The woman who went to bed for a year »
Les romans traduits de l’anglais prennent un air pincé et se
taisent, vexés qu’un de leurs cousins en version originale ait eu ma
préférence.
- Dites…
- Quoi ?
- J’espère que ça n’est pas ce qu’elle va faire ?
- Mais quoi donc ?
- Et bien, rester dans son lit pendant un an, sans venir nous voir !
- Aucun risque, deux jours sans nous, et elle devient fébrile…
22 heures 30, il fait douillet sous la couette, et j’ouvre
le petit monde de papier et d’encre que j’ai emprunté cet après-midi.
Les rumeurs du monde s’estompent….